Quelle est l’histoire du linceul de Turin ?
Bonus de l’historien Jean-Christian Petitfils tiré de son livre Jésus : en annexes, se trouve tout un chapitre intitulé Les reliques de la Passion. Il y est largement question du linceul de Turin : extraits choisis.
Selon l’évangile des Hébreux, le vénérable linge aurait d’abord été confié à la garde de saint Pierre (1). Probablement faisait-il partie des « choses, objets et images sacrés » que les judéo-chrétiens emportèrent en quittant Jérusalem pour les grottes de Pella en l’an 66. Les premiers dépositaires se gardèrent de le montrer, comme les autres reliques de la Passion, car la loi de Moïse tenait pour impur ce qui touchait à un cadavre.
Plus tard, vers 340, saint Cyrille de Jérusalem mentionne l’existence du « linceul, témoin de la Résurrection ». Des textes assez nombreux attestent qu’il aurait été transporté à Édesse (Urfa) avant l’an 57 par un disciple, Addaï ou Thaddée. Longtemps caché dans une niche au-dessus de la porte de l’Ouest, il fut redécouvert en 544. On le vénéra alors dans la cathédrale Hagia Sophia comme une icône du Christ, sans savoir qu’il s’agissait d’un linge funéraire couvert de sang. On pensait que Jésus vivant avait imprimé miraculeusement ses traits sur le linge. Tel était le Mandylion.
Quatre cents ans après, celui-ci fut acquis par Constantinople, après d’âpres négociations avec le sultan. Le 15 août 944, traversant le Bosphore, il fut transféré solennellement dans la chapelle impériale Sainte-Marie-du-Phare. Il y reçut un accueil mémorable, en présence de l’empereur Constantin VII Porphyrogénète. On s’aperçut alors qu’il ne représentait pas seulement le mystérieux et glorieux visage du Christ, légèrement ombré, mais qu’il avait été plié quatre fois en deux (tétradiplon) dans son reliquaire « (les traces en subsistent encore et sont visibles à la lumière rasante). Déroulé, il révéla en totalité le corps nu du supplicié : c’était un drap sépulcral que l’on avait replié pour ne pas choquer les croyants !
Dans son homélie d’accueil, Grégoire, archevêque référendaire de Sainte-Sophie, parla d’une image ne résultant « d’aucune couleur naturelle » et évoqua la double empreinte, avec la « sueur sanglante » qu’il avait observée sur le linge ainsi que les « gouttes sorties de son côté ». C’est ce linceul certainement que virent en 1147 Louis VII, roi de France, en 1171 Amaury de Lusignan, roi de Jérusalem (« le drap que l’on appelle synne où Jésus fut enveloppé »), et en août 1203 le chevalier picard Robert de Clari.
Malheureusement, l’année suivante, les croisés francs de la quatrième croisade saccagèrent odieusement la ville. Ils n’épargnèrent pas l’église byzantine de Sainte-Marie-des-Blachernes, où se trouvait alors la précieuse relique. Que devint-elle ? Emportée à Athènes avec le reste du butin par le franc-comtois Othon de La Roche, chef des croisés, elle disparut pendant près d’un siècle et demi, avant de réapparaître à Lirey en Champagne en 1357 chez l’arrière-petite-fille du pillard Othon, Jeanne de Vergy, épouse de Geoffroy de Charny. À partir de cette époque, l’histoire du linceul est mieux connue. Des ostensions furent régulièrement organisées, d’abord à Lirey, puis à Saint-Hippolyte-sur-le-Doubs et en quelques autres lieux.
Cédé à la famille de Savoie, il séjourna à Chambéry de 1453 à 1578 puis fut transféré à Turin, où il est toujours. Il est la propriété du Saint-Siège depuis 1983. Des foules innombrables à travers les siècles, des papes, des saints, Charles Borromée, François de Sales, Jeanne de Chantal, Thérèse de Lisieux (cette dernière, sous l’influence de M. Dupont, le « saint homme de Tours », prit le nom de Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face), ont vénéré cette mystérieuse relique, à laquelle des guérisons miraculeuses sont attribuées. Aujourd’hui encore, des centaines de milliers de pèlerins se pressent à chaque ostension.
Note
(1) Et non au « serviteur du grand prêtre » (petro et non puero), comme une mauvaise traduction l’avait d’abord fait croire.