Des fantômes d’écritures sur le linceul de Turin ?
Des « fantômes d’écriture » sur le linceul de Turin ? Que signifient ces drôles d’inscriptions ? Huitième élément du décryptage de l’historien Jean-Christian Petitfils, tiré de son livre Jésus.
On s’est demandé si les inscriptions paléographiques en latin, en grec et en écriture hébraïque lues par plusieurs chercheurs autour du visage de l’homme du linceul de Turin ne seraient pas les marques de deux huissiers, l’un romain et l’autre juif, présents lors de l’ensevelissement : le premier aurait inscrit sur une bande de papyrus ayant adhéré au drap la sentence de mort en lettres noires ou rouges, comme cela se faisait habituellement ; le second aurait garanti l’identité du défunt. Le fait que Pilate ait accepté de faire inhumer un condamné dans une sépulture privée pourrait justifier l’intervention d’un fonctionnaire romain (l’exactor), attestant que la procédure s’était déroulée normalement.
Quand deux physiciens découvrent des écritures
En 1994-1995, deux physiciens français, le professeur André Marion et son assistante, Anne-Laure Courage, ont retrouvé ces « fantômes d’écriture » en utilisant un appareil fourni par le laboratoire d’optique de Gif-sur-Yvette. Ils ont pu lire notamment sur le côté gauche du visage : INNECE (avec, à la fin du mot, le débris d’un M majuscule dont on ne voit que la barre verticale et l’esquisse d’une barre oblique, voir ci-contre). Etait-ce l’abréviation avec deux N bizarrement acolés de In necem ibis (« A la mort tu iras »), qui est l’une des formules habituelles des sentences romaines, obligatoirement rédigées en latin, comme la loi l’exigeait depuis Tibère ?
A hauteur du cou, ces mêmes chercheurs trouvèrent deux I. De l’autre côté, près de la pommette droite, en couleur sombre, PEZΩ (mot archaïque grec signifiant « j’atteste », «j’accomplis » ou « je soussigné exécute ») et, sur une bande verticale à droite du visage, quelques autres lettres, deux N accolés, un A, un Z, un A, un P, un H, encore un double N et un Σ, correspondant peut-être au mot grec NAZAPHNOΣ (le Nazaréen ou Nazarénien, forme latinisée du grec Nazôréen).
Sous le menton, au-dessous d’un mystérieux double N, apparaissent les lettres H, Σ, O et Y qui pourraient être les restes du mot IHΣOYΣ (Jésus, en grec : voir ci-contre).
La présence de ces fantômes d’écriture, dont certains avaient été repérés dès 1978 par deux chercheurs italiens, Piero Ugolotti et le père Aldo Marasstoni, professeur de littérature ancienne à l’université catholique de Milan (1), puis par le père André Dubois en 1982, est difficile à discerner, mais, pour André Marion et Anne-Laure Courage, ils sont bien réels, car leur leur repérage a été réalisé après numérisation de l’image, élimination du « bruit de fond » et des interférences des chevrons, selon une technique complexe faisant intervenir un microdensitomètre, appareil de haute précision géométrique, combiné à un traitement informatisé des résultats. On ne sait comment ils se sont imprimés sur le linge. Des paléographes consultés ont estimé qu’il s’agissait de caractères orientaux antérieurs au Ve siècle.
Le double N et le mélange des majuscules et des minuscules (capitales carrées et onciales) seraient caractéristiques des premiers siècles.
Curieusement, la plupart de ces signes graphiques sont situés sur des bandes rectilignes horizontales et verticales formant deux U encadrant le visage. Il ne s’agit pas du reste d’un apprêt passé sur la face externe du linceul pour rendre l’étoffe mieux à même de recevoir l’encre (sur cette face en effet aucune trace ne subsiste), mais peut-être de pièces d’étoffe laissées à l’intérieur du linge, indiquant l’identité du mort. (2)
C’est sur elles qu’aurait écrit l’exactor. Cela tendrait à montrer que les Romains ont supervisé les travaux d’inhumation effectués par Joseph et ses serviteurs. En outre, il semble exister d’autres inscriptions dans la
région des sourcils tant à droite qu’à gauche. Selon Carlo Orecchia, professeur d’hébreu biblique à la faculté théologique de Milan, et Roberto Messina, médecin légiste, on pourrait lire : mlk hw’hyhwdym, ou bien : mlch dy hyhwdym, autrement dit : « le roi des juifs » (3).
Des écritures datant du 1er siècle de notre ère
En 2009, reprenant l’ensemble du dossier, une historienne italienne, Barbara Frale, spécialiste en épigraphie grecque et latine, est parvenue à dater ces écritures du Ier siècle de notre ère, montrant ainsi qu’elle étaient contemporaines de la formation de l’image (4).
Tracées d’une main maladroite à l’aide d’un calame, elles n’ont rien de solennel. Ce ne sont ni des prières, ni des éloges funèbres. Le sigma anguleux avec quatre traits figurant à l’extrémité du mot NNAZAPHNNOΣ est une forme très ancienne, devenue rare au II siècle de notre ère.
Son auteur était peut-être l’huissier juif délégué par les grands prêtres. « L’homme qui a tracé l’étiquette NNAZAPHNNOΣ, écrit Barbara Frale, était de langue maternelle orientale, ne comprenait pas le latin et avait une connaissance plutôt sommaire du grec, comme en témoigne le doublement des N grecs pour rendre la nasale sémitique. Et ce bizarre NNAZAPHNNOΣ était la manière de rendre en grec un nom oriental. » (5)
Des fantômes d’écritures véridiques ?
Barbara Frale obtint confirmation de datation de ces écritures en les soumettant à l’un de meilleurs papyrologues italiens, le professeur Mari Capasso, sans lui dire qu’il s’agissait du linceul de Turin : ce spécialiste indiqua une fourchette alla de 50 avant à 50 après J.-C.
Les opérations d’inhumation achevées, on ferme tombe avec une grosse pierre que l’on bascule devant l’ouverture, afin de se protéger des animaux et de odeurs de décomposition. Les tombeaux princiers royaux comportaient une grosse meule roulant sur un glissière. La sépulture de Joseph d’Arimathie est plus simple. Un simple bloc de pierre suffit à l’obturer. Il est 19 heures environ. Le soleil s’est couché depuis une heure. Les trompettes du Temple vont bientôt annoncer le début du sabbat…
Devenir de la tunique et de la croix…
Joseph a sans doute récupéré la couronne d’épines et racheté le jour même les autres reliques aux soldats (n’étant pas lavée, la tunique est restée couverte de sang). Ni lui ni les premiers chrétiens ne se sont vantés de détenir de tels objets, impurs, selon la loi hébraïque. La croix a été jetée dans un puits du jardin de Joseph d’Arimathie que l’on a ensuite scellé. C’est là que, d’après la tradition, l’impératrice Hélène, malgré les profonds bouleversements du terrain, la découvrira, trois siècles plus tard, à partir des indications des chrétiens qui se seraient donné le mot de génération en génération. Les femmes venues de Galilée, y compris Marie, n’ont pas participé à l’ensevelissement, sinon peut-être en faisant remettre des fleurs. Les évangélistes Matthieu et Luc signalent cependant leur présence face au tombeau. Elles quittent elles aussi le Golgotha.
- Conclusion du décryptage de l’historien : Le Linceul de Turin porte-t-il la trace de la Résurrection ?
Notes
(1) Aldo Marastoni, Sindon, n°9, déc. 1980.
(2) On a parlé aussi d’une logette, pièce de bois utilisée dans l’Antiquité pour le calage de la tête (André Marion et Anne-Laure Courage, « Décryptage de fantômes d’écritures sur le linceul de Turin », Actes du 3° symposium scientifique international du CIELT-Nice 1997, p. 13-20), mais plus récemment des chercheurs sont parvenus à montrer que les bandes latérales dites « aveugles » laissaient voir en partie l’image des joues.
(3) Emanuela Marinelli, Suaire de Turin, p. 92. En 2005, un mathématicien et géophysicien français, Thierry Castex, et quelques autres ont cru distinguer sous le menton des fragments de lettres éparses en caractères hébraïques, représentant peut-être un texte d’une dizaine de lignes.
(4) Barbara Frale, Le Suaire de Jésus de Nazareth, Paris, Bayard, 2011.
(5) Ibid., p.279.